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 Le syndrome du sauveur en refuges animaliers

Nous n’arrivons pas dans la cause animale par hasard. Les métiers de l’aide sont en général des métiers de vocations, nourris pas un besoin impérieux d’aider les autres. Le « syndrome du sauveur » est un concept psychologique qui fait référence à un besoin compulsif d’aider les autres, souvent au détriment de soi-même. 

Dans les représentations collectives, les personnes engagées dans les refuges animaliers sont perçues et se perçoivent comme des « sauveurs » [1] qui ont pour mission de libérer les animaux de la souffrance, de leur porter secours. L’engagement dans cette action réparatrice immédiate est guidé par une grande sensibilité et une forte compassion, mais aussi par le vécu de l’individu.

Histoire de l’individu & syndrome du Sauveur 

Si les expériences vécues dans l’enfance auprès des animaux orientent les modalités d’engagement auprès des animaux à l’âge adulte, les racines du syndrome du sauveur sont également ancrées dans l’histoire de l’individu. Ces racines peuvent découler d’un sentiment d’insécurité ou d’un besoin de validation et de reconnaissance externe. Le psychanalyste William Vanden a rencontré grand nombre d’individus pour qui aider les autres devenait une manière de se définir, une source d’identité. Certains proviennent de milieux familiaux où ils ont endossé, dès leur plus jeune âge, le rôle de protecteur, de médiateur ou de guérisseur[2]. C’est l’exemple de l’enfant qui a dû prendre soin de parents défaillants, ou endosser très tôt un rôle de protecteur des frères ou sœurs cadets. Le sentiment d’être responsable du bien-être des autres prend alors racine, et s’amplifie jusqu’à conduire l’orientation de vie de l’adulte. La présence des animaux dans l’enfance est déterminante. L’identification avec l’animal induit une expérience personnelle de la vulnérabilité et de la dépendance. D’autres souvenirs plus douloureux, car associés à des situations de vulnérabilité, sont évoqués dans les témoignages des militants de la protection animale. Des traumatismes dans l’enfance peuvent conduite un individu à vouloir protéger les autres de ce qu’il a lui-même vécu. Un enfant qui a été rejeté ou isolé pourrait chercher à créer des liens en devenant indispensables pour les autres. Le chercheur Christophe Traïni a recueilli un certain nombre de témoignages en ce sens. C’est par exemple le harcèlement subi à l’école dans l’enfance des futures personnes engagées dans la Protection Animale. Cette douloureuse expérience de la vulnérabilité peut être très tôt rapprochée de celle des animaux. La sensibilité à l’égard des violences s’abattant sur des bêtes sans défense paraît d’autant plus aiguë que les militants ont précocement perçu un rapport d’analogie entre la souffrance imposée aux animaux et les sentiments déplaisants personnellement éprouvés à un âge où ils étaient encore incapables de se défendre[3].

Réparer le monde, en se réparant soi-même

Toujours sous un angle d’approche psychologique, ce besoin impérieux de porter secours aux autres peut alors devenir une tentative inconsciente de se sauver soi-même ou de réparer des blessures du passé. Le sentiment d’être utile ou nécessaire est un puissant moteur chez l’être humain. L’estime de soi se construit sur la perception de sa propre valeur, et dans le cas du syndrome du sauveur, cette valeur est souvent liée à la capacité de résoudre les problèmes des autres, ou de leur apporter du réconfort. En venant en aide à autrui, le « sauveur » ressent une validation instantanée de sa propre valeur. C’est une confirmation directe de son importance et de sa pertinence dans la vie d’autrui[4].

Mais les difficultés peuvent arriver lorsque cette profonde insécurité et le besoin de reconnaissance guident l’engagement des personnes dans la protection animale, car ce syndrome du sauveur peut menacer la santé physique et mentale des soignants-aidants en refuge animalier, tout en fragilisant la qualité des relations interpersonnelles. Nous avons développé par le passé les conséquences néfastes de la fatigue compassionnelle pour l’individu, mais aussi pour tout l’écosystème refuge.

Sans remettre en cause le besoin impérieux d’empathie et d’altruisme dans le monde d’aujourd’hui, la pérennité de la relation d’aide dans le secteur animalier dépend du bien-être humain des personnes engagées. Or l’envie compulsive d’aider les animaux au détriment de soi peut conduire à un épuisement, à de la frustration, de la colère, voir à un burn-out. 

Conclusion

Evidemment, il ne s’agit pas ici de faire des raccourcis et de généraliser ces vécus, mais d’ouvrir des pistes de réflexion sur cette identité de sauveur omnisciente en refuges animaliers. Aborder le syndrome du sauveur permet de s’interroger sur les motivations de notre engagement dans la cause animale, et d’entrevoir d’éventuels ajustements nécessaires pour naviguer vers un plus grand équilibre intérieur et des relations plus saines. Il ne s’agit pas de renoncer à son empathie et son désir d’aider, mais de s’insérer dans cette mission de manière plus respectueuse pour soi et les autres. Au lieu d’une compassion qui peut conduire à l’épuisement, il s’agit de trouver une attitude empathique équilibrée ou le soutien est offert sans se perdre soi-même. Cela permet d’assainir et de pérenniser la relation d’aide dans la cause animale.

Si ce sujet vous intéresse et que vous souhaitez en savoir plus, je vous invite à découvrir l’épisode du podcast dédié à ce sujet, dans lequel j'aborde plus longuement cette thématique. Cliquez simplement sur le lien ci-dessous 

A bientôt !

Réale

[1] CARRIE Fabien, DORE Antoine, MICHALON Jérôme, Sociologie de la cause animale, Paris, La Découverte, 2023.

[2] VANDEN William (sous la direction de), Comment surmonter le syndrome du sauveur, Paris, Révolu, 2023, p.6.

[3] TRAÏNI C.(2011), « L’enfance et les sensibilités primordiales de la lutte pour la protection animale » dans Anne MUXEL, La politique au fil de l’âge, Presses de Science Po, p.220.

[4] VANDEN William (sous la direction de), op.cit, p.30.

Crédit Photo : Illustration by Rachel Stern/The HSUS

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